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36ème Congrès du CIHA - Lyon 2024

Parrainé par le Ministère de la Culture,
le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche,
le Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

D’un monde à l’autre : les vocabulaires de la couleur au XIXe siècle à l’épreuve de leur matérialité

Marie-Anne Sarda 1, Charlotte Ribeyrol 2, Anita Quye 3

1Inha - Paris (France), 2Sorbonne Université - Paris (France), University of Glasgow (Scotland)

Sujet en anglais / Topic in english

From one world to another: the (questionable) materiality of nineteenth-century colour terminologies

For a long time, the names of colours from the living and mineral worlds of nature conveyed a link between their source origins and their materiality (Guineau 2005; Perego 2005; Bergeon and Curie 2009; Cardon 2014). Despite the rise of chemistry in the different royal academies of sciences from the 1740s, the making of colour (Grand-Clément 2011) remained dependent on these natural materials throughout the first half of the 19th century.

In 1856 the invention of mauveine however challenged the perception and production of colour across industrial Europe and beyond. As more synthetic dyes and pigments were developed and their production advanced into the twentieth century, the vocabulary of colour saw a progressive disappearance of categorisation away from natural organic or inorganic matters, and even from the “body” of the colour until it was no longer included (Taussig 2009; Young 2018). While some of the first synthetic dyes still bore the suffix –in/–ine as a connection to a natural material or a coloured field (flavin for the yellow of the Latin flavus; alizarine for the red, “alizarin” being the common name of the roots of the madder containing the colouring molecules), new types of colour terms were introduced during this period, which could carry poetic (like “Byron brown”), or political connotations, like “Magenta” red celebrating one of Napoleon III’s victory in Italy. Alongside the scientific and commercial vocabularies of colour shared by colour practitioners and their users, the second half of the 19th century also saw the development of more common names favoured by department stores and fashion magazines to popularize the new rainbow-like world.

This “colour revolution” (Blaszczyk 2012; Rossi 2017) also affected how artists and poets related to colour. The Pre-Raphaelite painter William Holman Hunt went as far as to accuse his colour supplier of selling misleadingly named aniline-based pigments, which he described as “pestilential” (Hunt 1881). Although modern science had by then made a whole new gamut of colours available to all, hue was evidently no longer the only issue at stake. With the aniline revolution, a new form of “material semiotics” (Roque 2021) emerged around the origins of colour which challenged its history (or histories) as much as its geography (Eaton 2013).

Inspired by interdisciplinary approaches to colour and chromatic materiality currently carried out both in the sciences and the humanities (Zuppiroli and Bussac 2012), this session aims to discuss ongoing research on 19th-century colour terminologies (dyes and pigments).

Sujet de la session en français / Topic in french

Longtemps issues des mondes du vivant et du minéral (Guineau 2005 ; Perego 2005 ; Bergeon et Curie 2009 ; Cardon 2014), les couleurs ont véhiculé par leur dénomination un lien au réel consubstantiel de leur matérialité. De fait, et malgré la montée en puissance des savants chimistes des académies royales des sciences à partir des années 1740, la fabrique des couleurs (Grand-Clément 2011) reste jusqu’en 1856 tributaire des matériaux d’origine naturelle qui la composent.

L’invention de la mauvéine vient bouleverser l’univers occidental des couleurs, avant de gagner durant le XXe siècle l’ensemble des continents. Avec le développement des colorants et des pigments de synthèse, dont la production ne comprend plus aucune matière naturelle, organique ou inorganique, les vocabulaires de la couleur montrent une disparition progressive des dénominations concrètes et du « corps » même de la couleur (Taussig 2009 ; Young 2018). Si une partie des premiers colorants de synthèse portent encore par leur suffixe en –ine le rattachement à une matière ou à un champ coloré (flavine pour les jaunes du latin flavus, blond ; alizarine pour le rouge garance, « alizari » étant le nom commun des racines de la garance recelant les molécules colorantes), l’on constate bientôt l’apparition de désignations faisant appel à d’autres références, tantôt poétiques comme le brun « nuance Byron », ou politiques à l’image du rouge « Magenta » célébrant une victoire de Napoléon III en Italie. Aux côtés des vocabulaires scientifiques et commerciaux de la couleur, partagés par les praticiens de la couleur et leurs utilisateurs, le XIXe siècle voit par ailleurs se développer un vocabulaire plus courant, favorisé par le développement de la confection, des grands magasins et des magazines de mode, qui popularisent un vestiaire arc-en-ciel.

Cette révolution de la couleur (Blaszczyk 2012 ; Rossi 2017) et de ses lexiques affecte également le rapport des artistes et des poètes à la matière chromatique. Le peintre préraphaélite William Holman Hunt ira jusqu’à soupçonner son marchand de couleur de lui vendre des pigments à base d’aniline à l’appellation trompeuse, qu’il qualifie de « pestilentiels » (Hunt 1881). Alors même que la science permet une démultiplication des possibles chromatiques, la teinte n’est donc plus, à l’évidence, le seul enjeu. Avec la révolution d’aniline, c’est une nouvelle « sémiotique matérielle » (Roque 2021) qui se joue désormais autour des origines de la couleur – remettant en question son histoire (ses histoires ?) autant que sa géographie (Eaton 2013).

Sur la base des études menées sur la couleur dans de nombreux domaines des sciences exactes et humaines (Zuppiroli et Bussac 2012), la session a pour objectif de confronter et de partager les recherches en cours sur les vocabulaires de la couleur au XIXe siècle (colorants et pigments), que ces recherches traitent du domaine occidental comme de territoires extra- européens. Le fil rouge en sera la matérialité de ces lexiques, en ce que ces derniers disent, ou ne disent pas, des matières concourant à leur élaboration, avant que les praticiens et artistes ne s’en saisissent à leur tour.